Ces femmes qui renversent le cours des choses pour d’autres femmes

Inclusion sociale
7 mars 2022 •  Par Centraide
Deux femmes qui discutent

Ce sont les femmes qui représentent la majorité de la main-d’œuvre du secteur communautaire. Elles jouent un rôle crucial pour accompagner d’autres femmes dans différents aspects de leur vie, puisque ce sont aussi des femmes qui fréquentent majoritairement les organismes communautaires. 

À l’occasion de la Journée internationale des femmes, nous sommes allés à la rencontre de cinq travailleuses communautaires qui interviennent auprès de groupes de femmes parmi les plus à risque de pauvreté : les femmes monoparentales, les femmes aînées, les femmes immigrantes ou racisées et les femmes autochtones. 


Le soutien que ces femmes reçoivent leur permet d’acquérir une plus grande autonomie, d’améliorer leurs conditions de vie et parfois même de quitter des milieux violents. 

Place à des femmes qui renversent le cours des choses pour d’autres femmes. 

Valérie Larouche

Valérie Larouche dirige Mères avec pouvoir depuis près de 10 ans. Elle connaît très bien les défis des jeunes mères qui fréquentent son organisme, ayant elle-même combiné les rôles de maman monoparentale et d’étudiante.


Depuis 20 ans, Mères avec pouvoir a accompagné plus de 200 mères monoparentales dans une démarche socioprofessionnelle ou de logement. S’il s’agit là de 200 histoires différentes, qu’ont en commun ces femmes lorsqu’elles cognent à la porte de cet organisme?

« Elles vivent beaucoup de stress. Se loger, c’est la base. Quand on a un enfant et qu’on n’arrive pas à se loger, c’est épouvantable comme stress. Souvent, elles sont endettées et ont de la misère à subvenir à leurs besoins alimentaires. Comme elles sont stressées, elles sont moins disposées à leur enfant. La plupart n’ont pas terminé leurs études secondaires et ont une faible estime d’elles-mêmes. Elles sont seules aussi. Elles vivent beaucoup d’isolement et de solitude.

Plusieurs d’entre elles ont vécu des formes d’abus physique, psychologique, affectif, financier même, on le voit souvent. Elles n’ont pas toujours eu le temps d’acquérir la maturité nécessaire avant de devenir mères. Leur réseau d’amis s’est parfois brisé avec la venue d’un enfant. Certaines d’entre-elles doivent composer avec l’omniprésence de leur parent, d’autres se retrouvent complètement seules avec leur enfant, avec aucun soutien de personne, que ce soit affectif ou matériel. »

Ces mères monoparentales ont parfois attendu un an ou deux avant de pouvoir intégrer Mères avec pouvoir. Bien qu’elles soient en situation de vulnérabilité à leur arrivée, elles sont aussi très motivées à réaliser leur projet de vie, soit un retour aux études ou sur le marché du travail.

« La première chose qu’elles font quand elles arrivent, c’est qu’elles signent un engagement envers elle-même : je veux réaliser ceci, j’ai besoin d’accompagnement pour y arriver, voici comment je vais le faire. Retourner aux études, ce n’est pas juste se lever et aller à l’école. C’est prendre soin de soi, avoir un réseau social, faire un budget, s’occuper de son logement, prendre du temps pour jouer avec son enfant, aller chez le médecin, aller chez le pédiatre. C’est tout un équilibre dans ta vie qui te permet d’être disposée et d’être disponible pour réaliser ton projet. »

Mères avec pouvoir accompagne les femmes dans leur cheminement qui dure de trois à cinq ans. L’organisme leur offre un logement subventionné et une place en CPE, mais aussi de l’intervention individuelle, des activités, des formations, des ateliers et un milieu de vie convivial et stimulant. Au terme de leur parcours, elles seront photographe, infirmière, éducatrice, esthéticienne, cheffe d’entreprise et auront développé un réseau d’entraide inestimable.

« On n’offre pas tous les services. On les met en contact avec les ressources du quartier. On ne veut pas que toute leur vie tourne autour de Mères avec pouvoir parce qu’un jour elles devront quitter. En ayant des ancrages dans la communauté, la transition se fait beaucoup mieux. Elles ont un réseau de soutien et nous ça nous assure que l’enfant et la mère sont bien implantés dans leur quartier. »

Mères avec pouvoir a également un programme d’intervention en milieu ouvert, c’est-à-dire qu’il accompagne des femmes monoparentales qui n’habitent pas sur place.

« Une femme qui habite déjà dans une coop ou dans un HLM n’est pas invitée à déménager chez nous, parce que c’est temporaire. Si elle veut de l’accompagnement pour avoir une place en garderie, un réseau de soutien, ou pour se mobiliser autour d’un projet de vie, on peut l’aider. »

En ce moment, Mères avec pouvoir accompagnent 30 mères monoparentales sur place et une vingtaine de familles en milieu ouvert. L’organisme déploiera dans les prochains mois une campagne majeure pour construire une deuxième installation de 50 logements.

Manoucheka Céleste

Manoucheka Céleste est fondatrice et directrice de l’organisme Mains Utiles. Haïtienne d’origine, elle a immigré au Québec en 2006, alors qu’elle avait 28 ans. Juriste de formation, mais également passionnée de mode, elle a poursuivi des études en design de mode, puis en couture. Accompagnée par une conseillère de la CDEC (Corporation de développement économique communautaire), elle a mis sur pied Mains Utiles en 2013 afin de venir en aide aux femmes immigrantes de Saint-Léonard.


« Quand tu quittes ton pays et que tu arrives dans un autre pays avec ta petite valise et quelques dollars en poche, tu es inévitablement en situation de vulnérabilité. La personne qui immigre a plusieurs étapes à franchir et des choix à faire quant à son parcours d’intégration qui dure généralement cinq ans. Malheureusement, plusieurs femmes choisissent de se consacrer à la famille plutôt qu’à leur intégration. Souvent, elles vont rester à la maison ou opter pour des emplois précaires à temps partiel et dépendre de leur conjoint. Il y a la peur aussi qui les freine. »

Mains Utiles s’adresse à ces femmes qui n’ont pas pu réaliser pleinement leur intégration et qui vivent dans l’isolement. L’organisme leur apporte la dose de courage dont elles ont besoin pour se prendre en main. En se joignant aux ateliers de couture où elles confectionnent des vêtements et des articles divers, elles développent un réseau d’entraide et se familiarisent avec la société d’accueil.

« On leur offre un espace où elles peuvent discuter et partager avec d’autres femmes. On souhaite qu’elles développent une plus grande autonomie et qu’elles s’épanouissent dans la société parce que, comme je dis souvent, il y a de la place pour tout le monde. Pas besoin de s’exclure, pas besoin d’être isolée, pas besoin de se cacher. Tout le monde peut contribuer. »

Plus qu’un atelier de couture, Mains Utiles est un milieu de vie pour les femmes immigrantes. Elles y développent un sentiment d’appartenance. Elles apprennent, discutent, échangent, socialisent, partagent avec d’autres femmes et s’entraident.

Bien ancré dans la dynamique communautaire de Saint-Léonard, Mains Utiles est venu en renfort au printemps 2020, alors qu’une situation sanitaire sans précédent sévissait dans le quartier. Les femmes inscrites aux ateliers de couture ont produit des couvre-visages qu’elles ont remis gratuitement aux personnes du quartier en situation de pauvreté et aux enfants dans les écoles.

Aussi, pendant la pandémie, avec des précautions strictes et reconnues, Mains Utiles a été accompagné dans un projet de médiation culturelle. Engagées dans la création d’une œuvre collective, les femmes immigrantes ont été invitées à raconter leur histoire, leur passé, leur présent et leur futur.

« C’était touchant de voir comment ces femmes-là, dans un endroit ouvert et sans jugement, ont pu ouvrir leur cœur pour créer cette murale. C’est vraiment quelque chose de très important. »

L’œuvre est actuellement exposée à la bibliothèque de Saint-Léonard. Lorsque les conditions sanitaires le permettront, Mains utiles la fera circuler dans le quartier, d’un organisme communautaire à l’autre, afin que la communauté puisse l’apprécier.

Diane Lévesque

Diane Lévesque est intervenante au Carrefour d’information pour aînés du CATAL (Comité d’animation du troisième âge de Laval). Ce programme répond aux besoins spécifiques d’une cinquantaine d’aînés chaque année en plus de soutenir plus de 225 personnes dans la production de leur déclaration de revenus dans leur milieu de vie : résidences pour personnes âgées, HLM ou CHSLD.


Des carrefours d’information pour aînés sont implantés dans la majorité des régions du Québec. À Laval, c’est le CATAL qui assure le mandat en accompagnant les aînés dans leur quête et compréhension des services gouvernementaux, municipaux et communautaires. Pas facile de s’y retrouver entre la pension de la sécurité de la vieillesse, le supplément de revenu garanti, l’allocation au survivant, l’allocation au logement, l’accès à une habitation à loyer modique.

« La majorité des femmes qui font appel à nos services sont en situation de pauvreté et ne bénéficient pas de tous les programmes auxquels elles ont droit. 75 % d’entre elles vivent seules. Ce sont des femmes de plus de 70 ans qui pour la plupart n’ont jamais travaillé. Lorsqu’elles perdent leur conjoint, elles se sentent complètement démunies. »

Le CATAL part à la recherche de chaque programme et de chaque dollar dont pourraient bénéficier ces aînées et malgré tout, plusieurs d’entre elles demeurent en situation précaire. Les démarches se font lors de consultations individuelles où d’autres problématiques peuvent être décelées. Elles sont alors référées à des ressources qui peuvent les aider.

Outre la pauvreté, les problèmes les plus souvent rencontrés par les aînés sont la détresse psychologique, l’anxiété, le deuil, l’isolement, la perte cognitive, les problèmes de santé mentale et physique et l’épuisement du proche aidant.

« Les aînées qui nous consultent sont généralement référées par l’intervenante de milieu du CATAL, les organismes communautaires, mais aussi la ligne téléphonique 211. »

« En consultation individuelle, on évalue la situation globale de la personne, afin de trouver les meilleures solutions pour améliorer ses conditions de vie. On l’aide à comprendre et à remplir des formulaires que ce soit sur papier ou à l’écran. On l’accompagne aussi dans le suivi de ses demandes qui peuvent parfois prendre quelques mois à se régler. On l’invite à assister à des conférences sur le testament, le bail, la fraude, l’abus financier qui sont offertes par le CATAL. » En dehors du Carrefour d’information pour aînés, le CATAL offre une foule de services aux aînés lavallois : sécurité alimentaire, répit pour les proches aidants, activités d’animations sociales et cognitives, activités physiques adaptées, travail de milieu, travail de rue, etc.

Javiera Arroyo et Rachel Jordan

Javiera Arroyo et Rachel Jordan travaillent toutes les deux au Centre des femmes de Montréal, la première à titre de directrice des services de première ligne et la seconde comme intervenante au programme Soutien aux femmes autochtones.


« C’est indéniable! Les femmes autochtones qui vivent à l’extérieur des réserves sont parmi les personnes les plus pauvres de la société, et ce malgré qu’elles fassent partie des peuples fondateurs. », nous explique Javiera Arroyo.

Leurs parcours de vie sont parfois sinueux et parsemés d’embûches liées à de multiples facteurs : traumatismes historiques, déracinement, perte de repères, racisme, discrimination, dépendance, violence et pauvreté n’en sont que quelques exemples.

« La plupart des femmes qui s’adressent au Centre, poursuit Rachel Jordan, sont en situation d’itinérance cyclique ou cachée. Certaines font des allers-retours entre leur communauté et le milieu urbain. Comme elles n’ont pas d’adresse fixe quand elles reviennent en ville, elles gravitent autour des ressources d’aide et des refuges. Certaines femmes ont un appartement dans un HLM ou un logement supervisé, mais c’est précaire. Elles n’ont pas beaucoup de moyens. Certaines sont en couple, mais la plupart sont célibataires, séparées ou en démarche de séparation parce qu’il y a de la violence dans le milieu familial.

Avant d’arriver en milieu urbain, ces femmes sont passées par un système. Elles ont été adoptées ou placées par la DPJ. Dans les réserves, les conditions socio-économiques ne sont pas meilleures. Il y a des crises du logement, il n’y a pas d’avenir, les gens sont très pauvres, il y a beaucoup de problèmes sociaux. Les femmes souvent vont quitter la réserve pour un avenir meilleur ou pour leur sécurité parce que leur vie en dépend. Elles vont arriver en ville parfois mal préparées. Elles ont espoir de se refaire une vie, mais elles arrivent dans un environnement où il y a de multiples barrières. »

Ce sont ces barrières que les intervenantes du Centre des femmes de Montréal les aident à franchir, en les accompagnant là où les difficultés risquent de se présenter. Les intervenantes peuvent les escorter à des rendez-vous médicaux ou à la cour, les visiter à domicile, leur trouver un hébergement d’urgence ou encore les diriger vers les ressources psychosociales et communautaires appropriées. Elles leur offrent un espace pour qu’elles puissent exprimer une détresse, dévoiler des abus ou simplement pour briser l’isolement. Elles font en sorte que les droits des femmes autochtones soient respectés, qu’elles soient entendues et qu’elles comprennent bien ce qu’on leur explique.

« On fait beaucoup de services individuels, mais on veut remettre à l’agenda nos activités de groupe difficiles à réaliser en temps de pandémie. On est en train de mettre sur pied une salle, un milieu de vie, où les femmes autochtones vont pouvoir se rencontrer pour retrouver leurs repères culturels et briser leur isolement, annonce Javiera Arroyo. Elles pourront faire des activités de perlage ou de cuisine collective, manger ensemble des plats traditionnels. »

« La guérison des traumas passe par la culture chez les femmes autochtones, chez toute personne autochtone, poursuit Rachel Jordan. Beaucoup de nos femmes sont des survivantes des pensionnats ou ont été placées dans des familles blanches très jeunes. Elles ont perdu tout contact avec leur culture et ont vécu des abus multiples. »

La route vers la guérison est longue et à travers ce parcours chaque petit pas est important. Les intervenantes qui sont sur la première ligne ne voient pas toujours les résultats, mais elles savent qu’elles sèment de petites graines. Parfois, elles ont des échos. Certaines femmes prennent le temps de les appeler pour leur annoncer de bonnes nouvelles : un nouveau logement, un retour aux études, au travail ou dans leur communauté. « Ça, c’est magnifique, nous disent-elles. Dans le cheminement de ces femmes, l’important c’est qu’on soit là, qu’on fasse partie de leur vie et qu’elles puissent compter sur nous. »